Entretien avec Baky Meité à l’occasion de la sortie de son premier livre : Les Chiffons Bleus.

Les Chiffons Bleus, le premier livre de Bakary Meité vient de paraitre. Il y raconte une expérience vécue au printemps 2020. A cette époque, la crise sanitaire provoque l’arrêt du championnat de Pro D2 et de la plupart des compétitions sportives. Baky se fait alors embaucher en tant qu’agent d’entretien au sein d’un hôpital gériatrique parisien. Notre ancien numéro 8 raconte son quotidien et celui de ceux qui furent en « première ligne » dans la lutte contre la pandémie.

Raconte-nous ta démarche, comment, un rugbyman professionnel devient agent d’entretien à l’hôpital Sainte-Périne ?

Baky Meité : Comme je l’ai souvent dit, c’est d’abord une opportunité qui s’est présentée à moi quand je me suis retrouvé confiné chez ma sœur en région parisienne alors que j’habite à Carcassonne. C’est son beau-frère à elle qui lui a demandé si elle connaissait des gens qui pouvaient travailler à l’hôpital, faire le ménage, etc. A l’époque, mon neveu Zakaria, qui jouait d’ailleurs en espoirs à Carcassonne, s’était décidé et je lui ai emboîté le pas. ça été très rapide, dès le lendemain, on signait le contrat de travail et on travaillait dans cet hôpital.

C’est aussi le résultat d’une envie d’être dans le concret, on a souvent envie de faire des choses, d’aider les gens, dans le social, des choses comme ça. Mais malgré tout j’en reviens à cette opportunité là. Moi je ne me serais pas levé un matin en me disant comme ça pendant le confinement : « et si j’allais sur pôle emploi pour demander s’il y a des postes disponibles », non. Mais quand cette opportunité s’est présentée je l’ai saisie en me disant « là on va être dans le concret, on va aider ». On parlait beaucoup de cette pandémie, de la première ligne, les soignants, les caissières, etc… Je me suis dis que si on pouvait participer à ça plutôt que de juste les applaudir tous les soirs à 20h… Du coup on a saisi cette opportunité, et voilà, on y va.

Dans ce livre, Les Chiffons bleus, c’est l’histoire que tu racontes. Combien de temps a duré cette expérience d’ailleurs ?

Baky Meité : Ca a duré un peu plus de deux mois. Et effectivement Les Chiffons bleus raconte tout ça. J’ai choisi ce titre parce que c’était presque devenu un fétiche que j’avais parce que c’était un objet que j’utilisais tous les jours, c’était un peu devenu mon ballon de rugby. Je l’avais tout le temps en main et je pensais constamment à ça et ça m’est resté. Ma seule préoccupation c’était de savoir s’il allait me rester des chiffons pour laver jusqu’à la fin de la journée ou pas.

Comment tu définirais ce livre en quelques mots ?

Baky Meité : Je le définirais comme la volonté de décrire tout ce que j’avais autour de moi dans cet environnement. Pendant cette pandémie, être au cœur d’un hôpital, ce n’était pas quelque chose de commun et j’avais envie de décrire tout ce qui m’entourait. Que ce soit les soignants, les gens avec qui je travaillais et les patients qui étaient là, dans cet hôpital déserté parce qu’il n’y avait pas le droit de visite. Ils étaient cantonnés à leur chambre et ne pouvaient sortir. Je me suis attaché à décrire ce qui m’entourait : les gens, les objets, l’environnement.

Il y a des personnages marquants dans ce livre ? Des personnes qui toi t’ont marquées ?

Baky Meité : Oui ! Vous allez découvrir les gens avec qui j’ai travaillé qui sont des personnes remarquables, des femmes pour la plupart. Ce sont des femmes qui travaillent, qui sont dans le dur depuis des années, qui n’ont pas attendu la crise du Covid pour travailler.

Il y a cette dame que je rencontre, qui est devenue une amie, qui s’appelle Soued… Je ne sais pas comment te dire… C’est la personne la plus gentille que j’ai rencontrée de toute ma vie. C’est la bonté incarnée. Cette femme, elle faisait le ménage, on était collègues. On ne faisait pas forcément la même chose : moi je ne faisais pas les chambres, elle les faisait. Mais quand on se croisait dans les couloirs c’était toujours un moment particulier. C’était vraiment une bouffée d’oxygène parce qu’elle était adorable. Il y a aussi Mariam, avec qui je travaillais, avec qui je partageais le petit déjeuner le matin. On discutait, des discussions sans fin, c’était une personne très très drôle.

Ces gens là qui font partie de l’équipe de nettoyage ne sont pas des salariés de l’hôpital, puisque c’est une partie qui est sous-traitée. Pourtant ils sont adorés par les soignants, vraiment. Même le beau-frère de ma soeur qui s’occupe de cette équipe là… J’en parle dans le livre, c’est presque une rockstar, les soignants le croisent et ils sont contents. On a pas idée de voir un hôpital sale, un hôpital c’est forcément propre, ne serait-ce que par rapport à l’hygiène… Donc même si c’est sous-traité, ces gens ont une importance capitale au sein de l’hôpital et les soignants leur rendent bien.

Un des enjeux de ce livre n’était-il pas de rendre visible ces gens qui sont habituellement invisibilisés ?

Baky Meité : C’est totalement ça. Quand je répondais à toutes ces interviews… Il y a eu vraiment beaucoup d’interviews et j’ai été un peu débordé par tout ça. Quand j’ai accepté de répondre aux journalistes, c’était vraiment pour mettre en lumière ces gens-là et dire « ces gens-là existent, et j’ai envie qu’on parle d’eux. » Alors évidemment, il y avait l’histoire du sportif professionnel qui fait ce métier là, mais le plus important pour moi c’était de parler de ce métier là, pas de parler de moi. Ce bouquin c’est clairement ça.

Je ne veux pas en faire une histoire politique mais je me retrouve dans ce que disait François Ruffin. Il parle de ces aides-soignants, de ces aides à domicile, de ces infirmières qui font des amplitudes horaires très importantes et qui sont très mal payées. Et moi j’ai pu toucher du doigt ce quotidien, de la même manière que j’ai pu observer la difficulté du métier d’infirmier ou d’infirmière. Tous ces gens habitent dans la grande couronne de Paris, une heure et demi de transports pour venir dans un hôpital dans le 16e arrondissement le matin très tôt et faire le même trajet au retour le soir. J’en parle dans le bouquin parce que ça ressemble aussi à ce que ma mère a vécu quand elle a fait ce métier là pendant 30 ans.

Sur les réseaux sociaux, on te voit parfois commenter l’actualité, donner ton avis… Qu’est ce que tu penses de l’engagement chez les sportifs ?

Baky Meité : Moi je ne pousse personne à faire comme moi. On a le droit de ne pas avoir d’avis sur des choses, mais néanmoins je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent que les sportifs ne devraient se concentrer que sur le sport. Que ceux qui ne veulent pas s’engager ne le fassent pas, ça me convient très bien. Mais il faut que ceux qui ont envie de le faire en aient la possibilité, qu’ils puissent le dire. Je pense qu’en tant que sportifs on a une voix qui peut porter, qui peut essayer de changer les choses.

C’est important que les gens comprennent qu’on est pas hors du temps, hors de la vie sociale parce qu’on ferait quelque chose destiné à divertir les gens. Et par ailleurs, parce qu’on gagnerait bien notre vie, on ne pourrait pas comprendre les souffrances sociales du plus grand nombre. Je ne suis clairement pas d’accord avec ça. Si on a envie d’en parler, on en parle , il ne faut pas qu’on soit muselés sur le sujet.

C’est ton premier livre, depuis récemment on peut aussi te lire chaque semaine sur Rugbyrama, comment t’es venu ce goût de l’écriture? Comment ça s’est passé?

Baky Meité : J’écris depuis assez longtemps. j’ai toujours aimé ça. Je n’ai pas toujours conservé mes écrits parce que c’était quelque chose d’assez compulsif que je faisais, qui me permettait de me libérer de plein de choses, de m’aérer la tête. Puis un jour, je ne sais pas pourquoi, j’ai décidé de publier un truc sur mes réseaux sociaux, et c’est parti comme ça. Les gens m’ont fait d’excellents retours. Il y avait aussi eu cette lettre que j’avais écrite pour ma mère quand j’étais à Béziers au sujet des migrants qui avait fait beaucoup de bruit. Souvent on m’a proposé de faire des livres mais je n’avais pas de sujet de livre. Et là, ce sujet m’est tombé dans les mains, j’écris autour de ça et c’est génial.

J’ai mis un an et demi à l’écrire. En fait, dès le premier jour où j’ai démarré à l’hôpital, le soir en rentrant, j’écrivais des notes, à propos de tout ce que je voyais, tout ce que je ressentais dans la journée. A la base, j’étais parti sur un espèce de carnet de bord, jour par jour, puis je me suis rendu compte que c’était vite rébarbatif. Du coup je me suis dit que j’allais faire différemment. Donc j’écris, je mets mes notes de côté, et rapidement j’ai vu que ça pouvait faire un truc.

Pour ce qui est de Rugbyrama, ça a démarré sur la fin de ma carrière. Midi Olympique me propose une chronique qui s’appelle « carte blanche ». Du coup j’ai écrit quelque chose qui leur a beaucoup plu, ça a cartonné, ils ont eu d’excellents retours. Ensuite, dans le courant de l’été quand j’étais en Côte d’Ivoire, ils m’ont proposé cette chronique (« Baky écrit » ndlr.). Ils sont venus en me demandant si j’étais capable de le faire car il y a une périodicité assez lourde, c’est toute les semaines, donc il faut trouver les sujets. Moi j’avais envie de le faire donc j’ai dis « feu », j’adore écrire et depuis le début de la saison ça se passe super bien. Les retours sont très bons. Ils m’ont dit « tu écris sur ce que tu veux, le fil rouge c’est le rugby ». Du coup je pars dans toutes les directions.

La première n’a pas été évidente parce que je souhaitais évoquer le racisme dans le rugby avec l’affaire de Christian Ambadiang, le joueur de Nevers. Je suis donc parti là dessus mais je n’avais qu’une seule envie : que la semaine passe vite pour que je puisse écrire autre chose, pour montrer aux gens que c’était pas un truc engagé politique et tout. L’idée c’était vraiment de coller à l’actualité et en plus c’était un sujet important pour moi, c’est pour ça que j’ai choisi d’écrire là-dessus. Ensuite j’ai pu écrire sur plein de choses : le rugby amateur, le rugby professionnel, les intendants, sur ceux qui s’occupent de la vidéo, sur le paysage… Donc oui, plein d’inspirations, j’essaye de trouver des sujets qui peuvent plaire aux gens et j’essaye d’y ajouter ma manière d’écrire…

Côté USC, on te voit souvent dans les travées du Stade Albert Domec, quel regard tu portes sur cette saison 2021/2022 en cours ?

Baky Meité : C’est génial. C’est génial ce qu’ils font. Moi je suis super content d’avoir fini ma carrière ici, c’est quelque chose qui compte pour moi, c’est la ville où j’habite encore. Carcassonne est important pour moi. Donc c’est vrai que quand je vais les voir je me régale. Je regarde à la télé, quand je peux aller au stade, je vais au stade. Contre Narbonne j’étais comme un fou parce que c’est ce genre de matchs qu’on aime jouer quand on est joueur. D’être spectateur, de m’enthousiasmer pour eux, c’est top et j’espère vraiment qu’ils vont accrocher ce top 6 et offrir des phases finales au public carcassonnais. Je suis super content pour eux, j’ai encore des copains dans l’équipe et j’espère qu’ils vont finir cette saison de la meilleure des manières.

Aimerais-tu rajouter quelque chose avant qu’on se quitte ?

Baky Meité : J’aimerais juste rendre hommage à Christine Menardeau. Quand j’ai décidé d’aller travailler à l’hôpital, la première chose que j’ai faite c’est de l’appeler pour lui dire et pour savoir si j’étais dans la légalité. Parce que je ne savais pas si j’avais le droit de le faire. Elle était super contente pour moi, elle m’a donné son feu vert, elle m’a dit qu’elle en parlerait et le premier article qui est sorti sur toute cette histoire c’est sur le site du club. Donc je voulais lui rendre hommage avec ce bouquin et la remercier là où elle est.

Merci beaucoup Baky. A bientôt !

Interview Arsène Berron.

Retrouvez Baky en dédicaces au Stade Albert Domec.

Le jeudi 31 mars prochain, à l’occasion du match US Carcassonne – Colomiers Rugby, Bakary Meité dédicacera son livre Les Chiffons Bleus sur le parvis du stade Albert Domec.